Jérôme Sans - Almost Here, Almost There, Almost Home

Almost Here, Almost There, Almost Home
Mariane Ibrahim Gallery, Chicago 

Exhibitions Commissaire

Avec une économie de moyens et de couleurs, les artistes réfléchissent à la nature des dualités et des émotions en recherchant l'alignement dans l'opposition. Alors que les conversations en constante évolution sur les politiques identitaires nous amènent à remettre en question la vérité, l'utilisation et les limites des étiquettes, ces œuvres remettent en question la pertinence de la catégorisation, faisant allusion à la tendance innée de l'humanité à diviser et à classer afin de donner un sens au monde.

Du réalisme à l'abstraction, les artistes explorent la poésie de la dualité, que ce soit à travers l'enchevêtrement des corps qui cherchent l'unisson dans les contradictions, la superposition des matériaux ou le double traitement méticuleux des textiles. Frotter le graphite, plier et replier de manière obsessionnelle, faire couler ou maculer la peinture : chaque artiste a un processus intime, presque rituel, avec son matériau, qui fait écho à une quête visant à brouiller les certitudes et à déformer les distinctions claires. Explorant la complexité du monde par des moyens modestes, les œuvres trouvent leur poésie dans l'abstraction et l'absence. Dans les fissures des plis, dans les espaces vides de la page, se trouve une ode à la simplicité, aux couches ambiguës de sens et d'interprétations. Exceptionnellement réunis pour la première fois dans cette exposition, dont le titre est tiré d'une œuvre de Joël Andrianomearisoa, ces quatre artistes font l'éloge des moments d'intimité silencieuse et de la recherche de sens et d'émotion dans ce qui se trouve dans les interstices.

Connu pour ses installations monumentales et ses recherches sur la matérialité des sentiments, Joël Andrianomearisoa (né en 1977 à Madagascar) réintroduit l'espace poétique et les émotions dans une esthétique qui avait jusqu'alors abdiqué l'individu, le geste et la voix au profit d'un rendu lisse et minimal. Mettant dos à dos deux traditions opposées, il mêle habilement le sentimentalisme de l'ère numérique à la grande esthétique froide et figée du minimalisme, affirmant la nécessité de réinjecter le langage poétique dans les pratiques artistiques contemporaines.

Comme un paysage, une partition musicale ou un carnet sur lequel l'écriture dégouline et détourne le sens, ses trois œuvres textiles Geometry et tales of our desires jouent d'une ambiguïté entre rigidité et liquidité, présence et absence. Une série de 10 dessins éponymes accompagne ces œuvres, comme des esquisses, des échos aux lignes noires grossièrement tracées, presque dansantes. Terrain de tous les possibles met en scène son vocabulaire noir emblématique, tout en démontrant une autre utilisation du textile qui se concentre sur les coupes, les plis et la suggestivité de la matérialité pour transmettre des significations sentimentales. Composé de 200 verres Beldi et de 30 assiettes en céramique contenant chacune un dessin unique de l'artiste, Almost Here, Almost There, Almost Home est produit au Maroc, soulignant la production locale qui mélange l'art et l'artisanat. Combinant le textile, le papier, le verre et la céramique, éléments caractéristiques du langage de l'artiste, les œuvres révèlent un monde de vibrations et d'ambiguïtés, à la fois sensible et poétique.

Alexandre Gourçon (né en 1993 à Paris) manipule la toile et le textile pour créer des scénarios entièrement nouveaux avec des plis, des textures et des ombres. À la manière de la costumière Madame Grès, son travail est basé sur l'acte de plier, de replier, de draper, d'étirer et de coudre, tout en fusionnant un travail méticuleux et artisanal avec une esthétique minimaliste. Avec des couleurs pâles, souvent monochromes, il explore le potentiel de la matérialité pour traduire et extraire des fragments d'émotion.

Pour cette exposition, l'artiste présente deux toiles La Voix Silencieuse et La Danse Immobile, nettement scindées en deux parties, faisant se croiser les textures et les volumes. Ces œuvres jouent avec les dualismes, incitant à réfléchir sur les binaires qui composent la vie : le plein et le vide, la lumière et l'obscurité, le bonheur et la douleur. Ces oppositions et contradictions sont au cœur de ses œuvres extrêmement intimes et sensibles. Alexandre Gourçon n'apporte pas de réponses mais suggère du sens à travers des plis qui vibrent comme des entités sensuelles et viscérales. À la manière d'une peau, ses toiles fragiles sont comme une poésie visuelle où chaque ride, chaque pli compte silencieusement des histoires intimes.

Mwangi Hutter (Ingrid Mwangi, née en 1975 au Kenya ; Robert Hutter, né en 1964 en Allemagne) ont fusionné leurs noms en 2005 pour devenir une seule identité artistique, incorporant leurs différences raciales et de genre respectives. À travers une variété de médias, Mwangi Hutter remet en question les notions traditionnelles d'identité, revisitant et remettant en question les préjugés collectifs. Utilisant et documentant souvent leurs propres corps comme des théâtres d'intimité, de douleur et d'introspection personnelle destinés à l'exorcisme collectif, ils cherchent à traduire les réalités sociétales changeantes, en réfléchissant à la construction des identités d'aujourd'hui et aux notions d'appartenance.
Les œuvres sur papier de la série Union de Mwangi Hutter illustrent l'utilisation du corps pour étudier les complexités de l'intimité et de l'amour. Des silhouettes opposées et enchevêtrées apparaissent dans une quête de fusion, pour ne faire qu'un, tandis que des contours flous, grossièrement définis, et des aquarelles dégoulinantes semblent se fondre dans la page. Jouant avec un vocabulaire dualiste en noir et blanc, ces œuvres sont des explorations poétiques des équilibres en amour, de la négociation complexe des différences dans les relations romantiques et de la recherche de la fusion dans les étreintes intimes.
Explorant des thèmes sociaux tels que la race, le pouvoir, la communication et le travail, Tony Lewis (né en 1986 à Los Angeles) intègre la poésie et le texte dans un vocabulaire abstrait. En effaçant, en éditant et en assemblant des mots extraits de leur source, de références littéraires ou populaires telles que les bandes dessinées, il joue avec le langage en tant que matériau. Utilisant souvent le noir et blanc, il se tourne vers le graphite pour son potentiel d'étirement, de maculage, de frottement et de pliage sur une variété de surfaces faites à la main ou trouvées. Du personnel au politique, jouant avec les couches de matériaux et de sens, il explore les non-dits et les dissimulations pour créer de nouvelles narrations abstraites inattendues. 

Pour cette exposition, Tony Lewis présente une installation spécifique composée de dessins au sol qui se dresse comme une sculpture dans la pièce. Comme un corps masqué, son travail énigmatique fait allusion à ce qui reste caché, jouant avec les plis et la manipulation complexe du papier et du graphite pour produire des significations ambiguës. Située à la frontière entre le dessin, la sculpture et l'installation, cette œuvre apparaît comme une entité vivante et organique qui joue avec les oppositions, oscillant entre la rigidité et la douceur, la force et la fragilité, la présence et l'absence.

- replier

"Exceptionnellement réunis pour la première fois dans cette exposition, dont le titre est tiré d'une œuvre de Joël Andrianomearisoa, ces quatre artistes font l'éloge des moments d'intimité silencieuse et de la recherche de sens et d'émotion dans ce qui se trouve dans les interstices." - Jérôme Sans

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